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par Franck2 » mar. 4 févr. 2020 10:22
Enki Bilal sur Djokovic : « Federer et Nadal, eux, appartiennent à tout le monde... »
Le dessinateur Enki Bilal, né à Belgrade et fervent admirateur de Novak Djokovic, décrypte le déficit de popularité dont souffre le Serbe par rapport à ses deux grands rivaux.
À 68 ans, Enki Bilal, né Enes Bilanovic, n'est jamais à court de projets. Il travaille en ce moment sur l'adaptation de sa série Bug pour France Télévisions, se concentre en parallèle sur l'écriture de deux films et prépare une grande exposition de ses oeuvres. Tout cela ne l'empêche pas de continuer à suivre attentivement l'actualité du tennis et particulièrement les performances de Novak Djokovic.
Au lendemain du Festival de la BD d'Angoulême, l'auteur de la mythique trilogie Nikopol explique les racines du désamour qui escorte le vainqueur de l'Open d'Australie sur les courts du monde entier.
« Avez-vous suivi le parcours de Novak Djokovic, depuis la une que vous aviez dessinée pour "L'Équipe", à l'occasion de la finale de la Coupe Davis 2010, entre la Serbie et la France, à Belgrade ?
Bien sûr. Je suis comme lui, un enfant de Belgrade, et peu importe que je ne sois pas d'origine serbe, puisque ma mère était tchèque et mon père bosniaque. Je sais que Novak Djokovic est très attaché à sa ville, comme moi, et je le suis de près aussi parce que c'est un super champion et un type qui a l'air intelligent.
Mais qui a l'air aussi de ne pas réussir à soulever les foules...
J'aime aussi ce côté mal aimé, mais ça, je crois que ça touche tout ce qui est serbe. Je pense que si Djokovic était croate, il serait plus apprécié. Il y a eu cette guerre de l'ex-Yougoslavie, dans les années 1990, qui a conduit le monde occidental à désigner les bons et les méchants, alors qu'on sait bien que tout cela est plus compliqué, surtout lorsqu'il s'agit d'un peuple et non pas uniquement des dirigeants. Je ne défendrai jamais les responsables serbes de cette époque-là, évidemment. C'était des monstres, des idiots, mais il y en a eu d'autres aussi de l'autre côté, des nationalistes nazis, etc.
Encore aujourd'hui, près de vingt ans après la fin du conflit, la population serbe est encore impactée ?
Oui, il y a cette vision négative relayée dans l'Occident. Le Serbe était devenu le méchant, celui dont on se méfie ; ça donne une situation un peu sale qui touche encore l'image de la Serbie, et ça traîne...
Djokovic a pourtant tout fait pour essayer de s'en défaire.
C'est un type qui a du charisme, beaucoup plus que Nadal, je trouve. Bon, son salut du coeur, ouais, j'ai trouvé ça un peu too much, c'était peut-être pas utile, mais c'est un bon comédien, il a réussi à le faire passer.
Pas aux yeux de tout le monde et notamment ceux de Nick Kyrgios, qui le tourne volontiers en dérision...
Kyrgios n'aime pas, mais je ne suis pas sûr que le niveau intellectuel de Kyrgios soit à prendre en compte dans cette histoire. Je ne le connais pas personnellement mais il est immature. Peut-être qu'un jour il sera fini mais ce n'est pas sûr (rire), mais du coup c'est amusant. Et je ne suis pas non plus dans la défense de Djokovic, mais les Serbes comptent sur lui pour donner une image meilleure que ce qu'on pense d'eux. Il est important pour son pays, ce qui est rare aujourd'hui. Je trouve son rôle touchant.
Que lui manque-t-il pour devenir l'égal de Federer et Nadal dans les coeurs ?
Federer est d'une grande élégance dans le jeu, c'est un grand champion qui est dans l'universel maintenant. Nadal est plus fermé mais on l'aime bien parce que c'est un bon garçon. C'est plus facile pour eux. Ils sont au-delà de l'appartenance à une nation. Ils appartiennent à tout le monde. Le problème de Djokovic est là. Il appartient à un pays particulier. Regardez les Russes, ils vont arriver davantage à "passer" parce qu'il y a de plus en plus de Russes qui ont une autre nationalité, comme l'Allemand Zverev ou le Canadien Shapovalov. Ça dilue l'idée du Russe auquel on accolait des images soviétiques.
Djokovic serait donc trop seul...
Le cas de Djokovic est atypique mais peut-être que ça lui donne une force. Le voilà à nouveau numéro 1, il espère dépasser Federer et pourtant, il traîne comme une rumeur tenace qui dirait : "Serbe, c'est pas bien." Il y a comme une ombre, je trouve ça dommage, mais il vit sa vie et il la vit plutôt très, très bien.
Il vous impressionne ?
Il a une très grande élégance physique, il est beau à voir jouer même s'il a moins la grâce dans les gestes que Federer. C'est sur le plan mental qu'il est devenu très fort. Il est capable de s'adapter aux situations. Il fait peur, provoque un impact psychologique chez l'adversaire. Il a des faiblesses, mais ça, c'est bien aussi, c'est rassurant, ça le rend humain et c'est superbe. J'ai peur qu'on finisse un jour par tomber sur une espèce de Terminator qui ne lâchera jamais.
Si vous deviez dessiner Novak Djokovic, qu'est-ce qui prédominerait dans votre trait ?
C'est difficile... Il a grandi dans un pays où le tennis n'était pas facilement accessible, il a eu un parcours personnel très dur. Il y a sa famille, à laquelle il s'accroche, et son pays, qu'il estime injustement attaqué. C'est complexe et riche, dans sa vie intérieure ; c'est ça que j'aimerais représenter. Ce serait sûrement une composition, comme celles que j'ai faites sur le communisme ou sur le capitalisme, où on peut mêler des images plutôt fantasmées. Oui, ce serait une illustration travaillée, pas juste un coup de crayon. »
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Franck2 le mar. 4 févr. 2020 10:25, modifié 1 fois.